376. Des Amis,
Une bonne fois, considère donc à part toi combien sont divers les sentiments, partagées les opinions, même entre tes relations les plus proches ; combien des opinions même pareilles se trouvent avoir, dans la tête de tes amis, une orientation ou une force toute autres que dans la tienne ; combien il se présente de si différentes occasions de malentendu, de séparation dans une fuite hostile. Après quoi tu te diras : Que le sol est incertain sur lequel repose toutes nos liaisons et amitiés, que les froides averses sont proches ou les intempéries, que tout homme est solitaire ! Quiconque se rend bien compte de cela, et puis encore que toutes les opinions, que leur genre et leur force sont, chez ses semblables, tout aussi nécessaires et irresponsables que leurs actes, qui arrive à savoir discerner cette nécessité intérieure des opinions dans l'irréductible enchevêtrement du caractère, des occupations, du talent, du milieu, -- celui-là s'affranchira peut-être de cette amertume, de cette âpreté de sentiment avec laquelle le sage fameux s'écriait : "Amis, il n'y a point d'amis !" Voici plutôt ce qu'il s'avouera : Oui, il y a des amis, mais c'est l'erreur, c'est l'illusion sur ta personne qui te les a amenés ; et il aura fallu qu'ils apprennent à garder le silence pour rester tes amis ; car ce qui assied presque toujours pareilles relations humaines, c'est qu'il y a un certain nombre de choses que l'on ne dit, que l'on effleure même jamais ; mais ces cailloux se mettent-ils à rouler, l'amitié s'en va derrière eux et se brise. Existe-t-il des hommes capables de n'être pas blessés à mort s'ils venaient à découvrir ce que leurs amis les plus intimes savent d'eux tout au fond ? -- C'est en apprenant à nous connaître nous-mêmes, à considérer notre propre être comme une sphère instable d'opinions et d'humeurs, et ainsi à le mépriser quelque peu, que nous rétablirons l'équilibre avec les autres. Nous avons de bonnes raisons, c'est vrai, de faire peu de cas de chacun de ceux que nous connaissons, quand ce serait le plus grand ; mais de toutes aussi bonnes de retourner ce sentiment contre nous-mêmes. -- Et ainsi, supportons-nous les uns les autres, puisqu'aussi bien nous nous supportons nous-mêmes ; peut-être alors l'heure de joie viendra-t-elle un jour elle aussi où chacun dira :
"Amis, il n'y a point d'amis !" s'écriait le sage mourant ;
"Ennemis, il n'y a point d'ennemis !" s'écrie le fou vivant que je suis.

Tu veux pas qu'on t'aime pour de mauvaises raisons ? love v
RépondreSupprimersi si au contraire : je ne crois tout simplement pas qu'il puisse y en avoir de bonnes !
RépondreSupprimera